“La conversation” Episode 5
Les questions qui émergent au début de cette cinquième conversation concernent ce que c’est qu’être vivant, et ce que signifie habiter – particulièrement habiter au milieu, entre avant et après, entre partir et revenir. Des questions riches, sur lesquelles la pratique des rites de passage, des jeûnes de vision dans la nature, apporte des éclairages précieux.
Un premier tour de cercle fait ressortir la nécessité de l’action, de mettre en œuvre, de se mettre en mouvement. La confiance profonde, au retour de la quête, que «le monde va changer» ne suffit pas : ce que j’ai appris pour mieux habiter demande des actions, des efforts, des choses qu’on n’a pas forcément envie de faire. Et c’est cela qui rend vivante : mettre en action, concrètement, ce que j’ai reçu de bon, de fort, pour que ça améliore mon habitat – avec la question, restée ouverte, de savoir où s’arrête mon habitat, jusqu’où s’étend le lieu que j’habite. La nécessité, comme dans la règle des moines, de «vivre et travailler».
Si être vivant consiste à être dans l’action, à faire des choses concrètes, et en retirer une vraie satisfaction de faire bien, il apparaît par ailleurs que c’est aussi suivre son cœur, avec tout le courage que cela peut exiger de nous. Et enfin, être vivant implique aussi la curiosité, le désir de savoir un peu plus, de connaître – une curiosité qui ouvre des perspectives pour devenir autre chose.
Enfin, habiter signifie aussi : avoir un lieu où revenir, un endroit protéger, d’où on peut rebondir. Habiter a lieu dans la tension entre vagabonder et construire, partir et revenir. Je vagabonde, et je reviens – comme la preuve que je suis partie.
En reconnectant tout cela avec les expériences de rites de passage, de jeûnes en solo dans la nature, vécues par les unes et des autres, le tableau s’enrichit encore.
Dehors, dans le temps du solo, sans abri, il semble d’abord qu’il n’y ait pas d’habitat. Mais j’y fais l’expérience que poser les éléments basiques dont j’ai besoin (l’endroit où dormir, le coin où mettre mes affaires à l’abri, où stocker l’eau, …) suffit pour «faire un habitat». Habiter, c’est fondamentalement avoir un camp, un endroit où tu sais que tu peux revenir. C’est être dans le monde, choisir l’endroit qui convient, faire ce qu’il y a à faire pour être à l’abri. Habiter dehors, c’est aussi se confronter parfois à quelque chose contre quoi on ne peut pas aller, et apprendre qu’il est possible d’aller avec le flot – et découvrir que ça peut être encore mieux que ce qu’on avait prévu. Mais l’habitat, c’est aussi l’endroit où on a des repères, dans l’espace et le temps, pouvoir être au bon endroit, au bon moment, pour faire ce dont j’ai besoin (par exemple, dans le rythme des saisons, l’hiver pour pouvoir s’arrêter et digérer. Là où j’habite, c’est le lieu de l’introspection, de la sécurité pour pouvoir se poser. Se dédier à quelque chose, de longue haleine. Et pouvoir le donner. Et dans la tension entre partir et revenir, habiter constitue ainsi aussi l’espace d’un voyage sur place, d’un voyage intérieur, dans la profondeur. Enfin, aller habiter dehors est toujours momentané, un moment transitoire, comme le passage vers quelque chose d’autre.
La quête de vision, le jeûne en solitaire dans la nature, c’est précisément l’expérience de la vie ramenée à cet élémentaire de l’habiter, toujours pris entre partir et revenir. Aller là-dehors, avec juste une bâche, de l’eau, rien pour s’occuper, et revenir en ramenant quelque chose à quoi se consacrer, à mettre en action. Te trouver comme nu dans la nature, et dans cette nudité devenir créatif. Ça peut être épuisant, et pourtant c’est là que tu trouves en toi des forces que tu ne soupçonnais pas. Affronter l’imprévisible, et découvrir qu’il t’est possible d’inventer pour continuer.
D’ailleurs, dans les derniers mots de cette conversation, il y avait le désir de continuer encore, «jusqu’à minuit !». Alors… continuons !