“La Conversation” Episode 2
Pour cet épisode: Guido Albertelli
La Conversation : soutenir les processus individuels et explorer comment parler des rites de passage.
©carine roth
21 octobre 2024
«Je veux libérer ma ferveur»
Le premier épisode de la conversation était consacré à l’intention. Le deuxième (et ce sera aussi le cas du troisième) est revenu sur l’intégration, l’incorporation.
C’est sans doute la partie la plus difficile de la cérémonie : comment ramener la vision, la médecine ? Comment manifester cela ? C’est «quelque chose» qu’on a à être – comment se rendre disponible pour cela ? La cérémonie pourrait être vue comme une sage-femme (c’est d’ailleurs cette fonction que Steven Foster attribue aux guides – voir l’extrait ci-dessous) : elle accompagne la naissance de quelque chose, qu’il s’agit alors de faire vivre.
Nous avons commencé en écoutant ces mots:
Je crois à tout l’inexprimé.
Je veux libérer ma ferveur.
Ce que personne n’a risqué
me deviendra involontaire.
Pardonne-moi, mon Dieu, si je suis téméraire.
Mais toutefois je veux te dire :
Ma force la meilleure sera comme un instinct,
sans colère et sans crainte ;
ainsi les enfants t’aiment.
Avec le flux, et cette bouche
dans l’ample bras au cœur de l’océan ouvert,
et le retour du flot multiplié,
je veux te reconnaître et veux te publier
comme personne ne le fit.
(R. M. Rilke, Le livre d’heures)
Puis nous avons fait tourner dans le cercle cette question des difficultés du retour, pour voir aussi ce qui a pu servir, soutenir.
Plusieurs fois est revenue la difficulté de dire quelque chose de clair. Et il a été question de séparer l’aspect «technique», concret, du solo, dont il est possible de dire quelques mots, et un aspect plus profond, plus difficile à partager, avec la frustration que cela engendre. Une voix a évoqué comment une ancienne version de soi avait été laissée «là-bas», pour pouvoir maintenant rester avec du neuf – et rencontrer, au retour, le sentiment de ne jamais pouvoir être vraiment comprise, la solitude et la colère contre le monde, l’impression d’être à contre-courant de tout. Et d’autre part, aussi, la nécessité de ce temps d’intégration solitaire, le temps que ça s’infuse et diffuse dans le reste de la vie, malgré l’immense envie, l’urgence, de parler, de partager tout de suite.
Et de nombreuses possibilités de soutien ont émergé aussi : revenir chez soi à l’intérieur, faire du feu, méditer, rire, cultiver le goût du moment présent. Nourrir cet espace en créant quelque chose, pour l’offrir aux autres ; récolter, et faire quelque chose en retour. Entretenir le feu intérieur en retrouvant la témérité de sortir de ce qu’on connaît. Et puis, beaucoup, l’importance de pouvoir se retrouver en cercle, parler, raconter, comme un rappel, trouver l’écho de sa propre histoire dans les histoires des autres. Réaliser qu’il y a une forme d’universalité. Créer comme une chambre d’échos où les expériences et les histoires puissent danser les unes avec les autres.
Pour conclure, malgré les difficultés, que «c’est toujours là, on n’oublie pas».
Et nous avons terminé en évoquant, rassemblant, des pratiques concrètes d’intégration, selon les différentes directions de la roue. Les pratiques du Sud, qui s’appuient sur le corps, les sensations ; celles de l’Ouest, de l’intériorité, en honorant les doutes et les questionnements ; celles du Nord, de la connexion avec les autres, de l’entraide et des choses concrètes ; et enfin celles de l’Est, qui célèbrent le mystère…
La prochaine rencontre poursuivra l’exploration de cette aventure de l’incorporation de la vision, de ce qui permet qu’elle ne devienne pas une simple hallucination.
Mettre en œuvre la vision
Steven Foster, traduit par Guido Albertelli
En général, la participante revient avec les yeux brillants. Elle est allée à la Rivière Sacrée et a vu ce qu'elle a vu. Son être frémit des révélations de l'aube. Elle peut remplir les oreilles d'un Raton laveur d'histoires incroyables : « Un aigle s'est posé dans mon cercle d'intention. » « J'ai vu des lumières bleues et senti des présences mystiques. » « Un coyote est venu me parler. « J'ai eu une grande vision d'un monde en paix. « J'ai rêvé de chevaux arc-en-ciel qui dansaient en cercle autour de moi. » Et puis, il y a ces quelques personnes qui reviennent abattues, affirmant avoir été ignorées par la faveur divine : « Il ne s'est rien passé ». « Dieu ne m'a pas parlé. « Je n'ai pas eu de rencontres significatives avec des animaux. « Je me suis endormi dans mon cercle d'intention et j'ai manqué la révélation. « Je n'ai pas reçu de nom de médecine. » « Je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie.
Nombreux sont ceux qui font l'expérience - ou prétendent ne pas faire l'expérience - d'une « vision ». Rares sont ceux qui font autre chose que d'en parler. Des mots, des mots. Quel pouvoir ont-ils, en dehors de la pratique réelle de la vision ? Il y a beaucoup de parleurs, moins d'acteurs. Et que dire de ceux qui prétendent souffrir d'un manque de vision, mais qui s'impliquent quotidiennement dans un travail visionnaire ? Il est clair que la vision n'est pas seulement une chose dont on parle. La vision n'est pas seulement quelque chose que l'on prétend avoir ou ne pas avoir.
Plutôt que de définir la « vision » de manière étroite, on pourrait l'associer à l'action et à la mise en œuvre, signes de l'impact de la vision sur l'esprit et le cœur des autres. Le prophète de l'Ancien Testament avait prévenu : « Sans vision, le peuple périra ». La vision dont il parlait n'avait pas grand-chose à voir avec des objets de médecine hallucinants, des fantasmes ou des fantaisies, ni avec les illuminations mystiques de l'ermite qui a laissé le monde derrière lui. Le prophète parlait du genre de vision qui renforce les muscles du corps et de l'esprit par la tension de la volonté, jour après jour après jour. Il ne parlait pas d'intermèdes de pyrotechnie suprasensorielle. La vision est ce qui ne disparaît jamais, quels que soient nos efforts pour la fuir ou l'oublier. C'est une conviction personnelle en action. C'est le sens de la mission en cours d'accomplissement. C'est un mythe qui se réalise par le travail. C'est mettre en pratique ce que ce que nous prêchons.
Implementing the vision
Usually, the candidate returns with eyes aglow. She has been to the Sacred River and has seen what she has seen. Her being quivers with the revelations of dawn. She may fill a Raccoon's ears with incredible tales : «An eagle landed in my purpose circle.» «I saw blue lights and felt mystical presences.» «A coyote came up and talked to me.» «I had a great vision of the world at peace.» «I dreamed of rainbow horses dancing in a circle around me.» Then there are those few who return crestfallen, alleging to have been ignored by divine favor: «Nothing happened.» «God didn't talk to me.» «I didn't have any significant encounters with animals.» «I fell asleep in my purpose circle and missed the revelation.» «I didn't get a medicine name.» «I still don't know what I'm going to do with my life.»
Many experience - or claim not to experience - «vision.» There are few who do anything but talk about it. Words, words. What power have they, apart from the actual practice of the vision? There are plenty of talkers, fewer doers. And what about those who claim to suffer from lack of vision, yet who are daily involved in visionary work? Clearly, vision is not just something one talks about. Vision is not just something one claims to have or not to have.
Rather than defining «vision» narrowly, one might instead associate «vision» with action and implementation, signs of the vision's impact on the minds and hearts of others. «Without vision the people will perish!» warned the Old Testament prophet. The vision he referred to had little to do with trippy medicine objects or phantasms or fancies, nor was he describing the mystical illuminations of the hermit who has left the world behind. The prophet was speaking of the kind of vision that empowers the muscles of the body and mind with the tension of will, day after day after day. He was not discussing interludes of suprasensa-tional pyrotechnics. Vision is what never goes away, no matter how hard we try to run from it or forget. It is personal conviction in action. It is a sense of mission in the process of being accom-plished. It is myth realized through work. It is practicing what we preach.
(Steven Foster, Meredith Little, The roaring of the Sacred River, p. 169-170. Traduction française: Guido Albertelli)
En Savoir plus sur Steven
Steven Foster est le fondateur avec Meredith Little de The School of Lost Borders.
Les guides de notre association ont tous été formés dans cette culture et selon cette lignée.
« The lecturers discus the role of the wilderness guide in these stages, defining them as midwives who assist the vision quest participants to give birth to themselves. A training process that the guides use called 'mirroring' is described, (…) that focuses on the positive aspect of the stories rather than the problems. This theraputic process is based on 'The Four Shields', a world view based on the four seasons correlating with a period of life. Summer and Fall are described as childhood and initiation, Winter and Spring as adulthood and rebirth. The vision of these rites of passage are often very tangible rather than supernatural and the true power of the visions come from their enactment by the participant after the vision quest is over and they have returned to their regular lives. »
Steven Foster, 1996 - in “Wilderness Vision Questing and the Four Shields of Human Nature”
Steven Foster dans l’introduction à une conférence à l’université d’Idaho en 1996 :
Les conférenciers discutent du rôle des guides de pleine nature dans ces étapes, les définissant comme des sages-femmes qui aident les participants à la quête de vision à accoucher d'eux-mêmes. Ils décrivent un processus de formation utilisé par les guides, appelé « mirroring », (...) qui met l'accent sur l'aspect positif des histoires plutôt que sur les problèmes. Ce processus thérapeutique est basé sur « Les quatre directions » (Four Shields), une vision du monde fondée sur les quatre saisons en corrélation avec une période de la vie. L'été et l'automne sont décrits comme l'enfance et l'initiation, l'hiver et le printemps comme l'âge adulte et la renaissance. Les visions de ces rites de passage sont souvent très tangibles plutôt que surnaturelles et le véritable pouvoir des visions vient de leur mise en œuvre par le participant une fois que la quête de vision est terminée et qu'il est retourné à sa vie normale.
Les livres de Steven et Meredith, ainsi que d’autres auteurs importants de ce mouvement des Rites de Passage modernes, se trouvent sur le site de Lost Border Press, maison d’édition fondée par Meredith et Steven et aujourd’hui encore gérée par elle et sa fille.
N’hésitez pas à vous adresser à nous pour commander des livres en passant des commandes groupées.